Union européenne - Brexit - Italie

Entretien de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes, avec "Radio Classique" - Extraits (Paris, 05/09/2019)

Q - Il est 08h15 sur l’antenne de Radio Classique, nous avons rendez-vous avec Amélie de Montchalin. Bonjour. Première question : est-ce que vous allez rencontrer Boris Johnson ?

R - Alors, moi je ne rencontre pas, en général, moi-même toute seule, les Premiers ministres, en revanche je rencontre mon homologue britannique très régulièrement, il était à Paris mercredi dernier, et nous nous parlons, nous nous téléphonons, nous sommes toujours en contact. Les relations diplomatiques ne sont pas rompues, elles ne le seront d’ailleurs je crois jamais.

Q - Sauf que ça change tous les jours.

R - Alors, ça change tous les jours...

Q - Il était question d’un Brexit dur, et maintenant l’obligation a été demandée par les députés à Boris Johnson de négocier un délai, et voire même de renoncer à des élections.

R - Donc, au fond il y a beaucoup d’épisodes, ça bouge beaucoup, il y a une lutte, on le voit, politique très intense entre le gouvernement et le Parlement. Si on résume ce qui s’est quand même passé depuis quelques jours, c’est qu’au fond on est revenu à un point de départ qu’on connaît. C’est qu’on sait que le Parlement britannique ne veut pas sortir de l’Union européenne sans un accord. Cela, on le sait depuis des mois, c’est d’ailleurs pour ça qu’ils l’ont plusieurs fois répété quand Theresa May était déjà Première ministre, parce qu’ils veulent comme nous les 27, que cela se passe de manière ordonnée. C’est pour cela que pendant deux ans et demi on a travaillé à voir comment on pouvait...

Q - Ça avait été le travail de Barnier, mais tout ça a été déchiré...

R - ... protéger les citoyens, et comment nous pouvions surtout permettre à l’économie de continuer à fonctionner, même si nous avions de nouvelles relations. Donc, le Parlement il est très clair là-dessus. Ce qu’on voit en parallèle, c’est que le même Parlement britannique nous dit aussi qu’il ne veut pas que des élections se passent, et que donc aujourd’hui on est dans une situation un peu bloquée, c’est qu’on sait ce qu’ils ne veulent pas, on a toujours du mal à comprendre ce qu’ils veulent. Et donc, notre position, vis-à-vis de mes homologues et vis-à-vis des Britanniques en général, c’est de leur dire : faites-nous des propositions concrètes, c’est ce que nous attendons maintenant depuis des semaines et des semaines, pour que nous comprenions si par rapport à l’accord que nous avons négocié, s’il y a des amendements mineurs qui nous permettent d’avancer, eh bien, il n’y a pas de raison qu’on ne vous écoute pas. S’il y a des choses majeures à faire, est-ce que c’est dans le cadre de cet accord de divorce, au fond, qu’il faut le faire, ou est-ce que c’est dans le cadre de la relation future que nous aurons à voir avec les Britanniques ? Ce que je veux dire aujourd’hui aux Français, c’est qu’on peut faire le commentaire de la politique britannique, c’est passionnant, ça change tout le temps. Ce n’est pas notre rôle. Notre rôle, nous en tout cas aux responsabilités, c’est d’être prêt à toutes les éventualités, parce que la sortie sans accord le 31 octobre reste une possibilité très forte, et donc c’est pour cela qu’avec Agnès Pannier, avec Olivier Dussopt, moi je vais rencontrer les ambassadeurs de tous les pays de l’Union européenne la semaine prochaine, le Premier ministre réunit tous les ministres lundi. On se prépare, parce que derrière cet enjeu il y a des...

Q - Mais il y a des questions économiques majeures pour les entreprises françaises pour ceux qui exportent vers la Grande-Bretagne, ne savent même pas quels vont être les droits de douane.

R - Il y a des entreprises, il y a 300.000 Français qui habitent à Londres, et il y a 150.000 Britanniques qui habitent en France. Donc, derrière ces enjeux qui peuvent paraître de la grande diplomatie, très compliquée, il y a des choses très concrètes et notre rôle c’est d’être à la fois très calmes, parce qu’on n’est pas là pour ne pas rentrer en conflit avec le Royaume-Uni, les falaises de Douvres resteront toujours là où elles sont. Moi j’ai grandi à Calais, je peux vous dire que le tunnel il fait toujours 50 km, il fera toujours 50 km. Ils resteront des voisins avec qui on aura énormément d’échanges. Donc il faut qu’on puisse rester calmes, parce que cette relation future il faudra qu’on la construise, et puis il faut qu’on se prépare pour que ces éléments diplomatiques, ce choix souverain des Britanniques, n’impacte pas, ne mette pas en danger, ni notre commerce, ni nos entreprises, ni les familles françaises au Royaume-Uni et britanniques en France.

Q - Mais vous reconnaissez que ce matin c’est extrêmement compliqué, car vous avez un peuple britannique qui veut un Brexit, des parlementaires qui n’en veulent pas, Johnson qui veut les élections et les parlementaires ne veulent pas des élections.

R - Non, il y a une chose sur laquelle on pense qu’on peut s’accorder, c’est que le Brexit, ils sont d’accord pour l’avoir au Parlement, mais ils veulent un accord. Eh bien, nous leur disons : aidez-nous...

Q - Avant le 31 ?

R - Oui, mais aidez-nous à construire l’accord !

Q - Avant le 31 ?

R - Cela fait deux ans et demi qu’on y travaille.

Q - Avant le 31 ?

R - C’est-à-dire ?

Q - Eh bien cet accord, est-ce que vous pensez qu’il est négociable avant le 31 ?

R - Mais cela fait deux ans et demi qu’on en a un sur la table.

Q - Je le sais bien, mais ils n’en ont pas voulu jusqu’à présent. Alors...

R - Il y a une chose que l’on a aussi dite clairement avec le président : ce n’est pas parce qu’un problème est compliqué, en le diluant dans le temps et en le repoussant de trois mois sans rien changer, que cela va se résoudre.

Q - Donc on peut l’obtenir avant le 31.

R - Mais c’est ce qu’on fait tous les jours, c’est ça qu’on essaie de travailler. Mais quand j’entends les Britanniques dire : donnez-nous trois mois de plus et on va résoudre le problème, on voit bien que ce n’est pas six mois de plus qui ont résolu le problème, ce n’est pas trois mois de plus. Il faut qu’il y ait un choix, il faut qu’il y ait une forme d’unité nationale, il faut qu’ils sachent nous dire ce qu’ils veulent. Aujourd’hui on a bien compris ce qu’ils ne veulent pas. On est comme eux, on n’a pas envie d’une sortie du Royaume-Uni sans accord, ça on est tous d’accord, ça c’est la seule chose...

Q - Question, est-ce que le fait que Salvini sorte de la majorité gouvernementale, donc en Italie, est une bonne chose pour vous ?

R - Ce qui est une bonne chose, c’est que la crise italienne ait pu être résolue. Ce qui est une bonne chose, c’est que l’Italie va pouvoir construire un budget, et ce qui est une bonne chose c’est que l’Italie fait le choix de l’Europe.

Q - En rappelant donc que Conte a été renommé Premier ministre, mais avec une autre majorité.

R - Et qu’il fasse le choix de l’Europe et qu’il nous dise : on a envie de travailler avec les Européens, parce qu’on voit bien qu’un certain nombre des grands défis italiens, ne peuvent pas trouver de solutions seulement à Rome, et qu’on a besoin, mais comme en France, il y a énormément de sujets, Guillaume Tabard parlait des sujets migratoires, une énorme partie de la clé de ce sujet qui reste un sujet que les Français voient comme une préoccupation, et qui pour nous est également une préoccupation, c’est que nous ne pouvons pas imaginer que la France toute seule va pouvoir régler le sujet de l’asile, des migrations économiques, des migrations climatiques. Nous avons besoin d’être ensemble avec les Européens. Donc, c’est un sujet par exemple sur lequel nous travaillons énormément et donc les Italiens...

Q - Donc c’est une bonne chose que Salvini sorte pour l’instant, même s’il est encore très fort dans l’opinion, car s’il y a des élections en Italie, il a une bonne chance de les emporter.

R - Pour moi, ce qui est une bonne chose, c’est que nous puissions travailler activement avec l’Italie, parce que c’est un grand pays européen, que nous avons besoin d’eux, et je crois que la clé de cette affaire, c’est qu’ils puissent construire un budget dans des conditions normales. Parce que le risque que faisait prendre Salvini à son pays, c’est que si son plan s’était déroulé comme il le voulait, il n’y aurait pas eu de gouvernement pour avoir un budget. Et vous savez comme moi qu’un pays sans budget, c’est un pays qui n’a plus de politique publique, c’est un pays qui devient dysfonctionnel (...)./.

Dernière modification : 06/09/2019

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